Quelques messages et lettres officiels relatifs à la guerre déclenchée le 01.10.1990 contre le Rwanda.
MESSAGE A LA NATION DELIVREE PAR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE RWANDAISE ,SON EXCELLENCE LE GEN.-MAJOR
JUVENAL HABYARIMANA EN DATE DU 29 OCTOBRE 1990.
Rwandaises, Rwandais, Amis du Rwanda!
Voilà déjà plus de quatre semaines de la guerre qui oppose notre pays à des assaillants fortement armés, comme vous le savez
venus de l'Uganda avec l'objectif évident de reprendre un pouvoir politique perdu, il y a trente ans, lorsque le peuple rwandais
dans son écrasante majorité a su se défaire d'une hégémonie féodale dont il ne voulait ni ne pouvait plus.
Aujourd'hui, Militantes et Militants, je voudrais vous faire part du résultat des démarches diplomatiques que j'ai entreprises
pour résoudre certains problèmes créés par l'agression armée de notre pays, ainsi que d'autres thèmes encore.
L'intense activité diplomatique qui a caractérisé la période depuis que je me suis adressé à vous pour la deuxième fois, il y a
une dizaine de jours, poursuivait deux objectifs essentiellement:
Premièrement, organiser la défense de notre pays sur le pan diplomatique, en montrant aux Gouvernements amis la réalité vraie
de l'agression subie par notre pays par des forces armées étrangères, en montant au monde notre volonté d'oeuvrer en faveur des
solutions durables dans l'intérêt de ceux et seuleument de ceux qui comme le Rwanda, ne désirent rien de plus qu'un règlement
pacifique de la crise provoquée par l'agression armée perpétrée contre notre pays.
Deuxièmement, explorer concrètement quelques voies de solutions possibles, en accord et avec la coopération de plusieurs pays amis, et en appuyant avec conviction et ardeur les initiatives, combien justes et judicieuses et auxquelles le nom de son auteur restera attaché, prises par la Belgique, grâce au Leadership et à l'initiative assumés par son Premier Ministre, Monsieur Wilfried MARTENS.
C'est ainsi que des réunions successives ont eu lieu avec le Président Zairois, le Maréchal MOBUTU SESE SEKO, à qui j'ai transmis l'appréciation profonde et sincère de la population rwandaise pour l'aide morale et militaire qu'il nous a accordée si spontanément et si généreusement, et qui nous a été d'un soutien décisif.
Ma rencontre, extrêmement amicale avec le Président Tanzanien, Monsieur ALI HASSAN MWINYI, a permis de constater une totale entente sur l'analyse du caractère de l'agression subie par notre pays, ainsi que les moyens d'y répondre.
Nous avons, Militantes et Militants, dans notre région, nous avons des alliés forts et convaincus de la justice de notre cause et sur l'appui desquels nous pourrons toujours compter.
Au nombre de nos alliés régionaux du Rwanda, c'est évidemment aussi le Burundi et le Kenya que nous mentionnons avec reconnaissance. Le Président Pierre BUYOYA du Burundi nous avait d'ailleurs assuré dès le tout début de l'intrusion armée dans notre pays, nous avait assuré de son soutien entier et de ses efforts pour contribuer efficacement à la solution de la crise créée par l'attaque armée contre notre pays.
Le soutien dont le Président Arap MOI du Kenya et le KANU nous ont chaleureu-sement assuré à constituer un autre pas décisif vers un règlement durable de l'agression armée dont notre pays a fait l'objet.
Un élément majeur de la consolidation régionale, permettant d'oeuvrer pour le développement bien compris de notre région, sera sans doute assumé par l'Uganda, grâce à la vigoureuse position adoptée par son Président, Monsieur Yoweri MUSEVENI, en faveur de la non-violabilité des frontières et en faveur d'un règlement pacifique et équitable de la crise générée par des éléments par lui considérés aujourd'hui comme déserteurs et des hors-la-loi, ayant à son insu, comme il l'affirme, attaqué militairement notre pays.
Ma rencontre avec le Président de la République Française, Monsieur François MITTERAND; m'a permis de lui exprimer, au nom du peuple rwandais, notre reconnaissance pour le soutien efficace, à tous les niveaux, que la France nous accorde. La France a été le premier pays à nous envoyer un détachement militaire pour nous permettre d'assurer la protection des ressortissants français à Kigali; nous savons gré au soutien continu de la France à notre cause.
Ces rencontres ont été suivies de ce que nous avons pris l'habitude d'appeler aujourd'hui des sommets.
Il y a d'abord eu ceux de MWANZA, entre la Tanzanie, l'Uganda et le Rwanda, et de GBADO-LITE, entre le Zaire, le Burundi et le Rwanda. Les deux ont eu, au fond, le même objectif, c'est-à-dire, tout faire pour un retour rapide de la paix au Rwanda. Ce retour à la paix devait impérativement commencer par l'arrêt de l'effusion de sang et de la destruction du patrimoine de notre pays.
Cela devait commencer par un cessez-le-feu, suivi de la mise en place d'une force d'interposition le long de la frontière ugando-rwandaise. Les négociations concernant la solution à long terme du problème des réfugiés rwandais ne pouvant intervenir que par la suite.
A ce sujet, je tiens à réitérer la position du Gouvernement Rwandais. C'est une position souple; et il ne refusera jamais aucune idée, si elle peut permettre d'aboutir à un réglement rapide et pacifique.
Mais il ne peut pour autant être question pour le Rwanda de négocier directement avec nos agresseurs, tant et aussi longtemps que leur départ du territoire rwandais n'interviendra pas comme partie intégrale d'un quelconque règlement.
En revanche, nous sommes prêts, et nous le réaffirmons aujourd'hui, nous sommes prêts à négocier avec tous ceux qui ont de l'influence sur ces envahisseurs armés. En réalité, c'est ainsi que le Rwanda définit sa démarche: un cessez-le-feu suivi du retrait des ataquants. Les négociations prévues dans le cadre de solutions permanentes concernant le problème des réfugiés, ne pourraient se siruer qu'après l'évacuation des ataquants, qui, comme le monde commence à en être convaincu, ne sont nullement intéressés ni motivés par le problème des réfugiés.
Le peuple rwandais tout entier se révolterait et se souleverait comme un seul homme, s'il s'agissait d'accepter d'entrer en discussion directe avec les envahisseurs mettant le pays à `sang et à feu, tout en salissant l'image de notre pays de la façon abjecte dont cela a été fait, et qui continuent à nous tirer dessus et occuper illégalement notre territoire.
Plutôt que d'abandonner une parcelle de notre territoire, si minime soit-elle, et d'être mis devant le fait accompli par des déserteurs d'une armée étrangère, le peuple rwandais, nous tous, toutes et tous, nous préférerions nous battre jusqu'au dernier homme avant de laisser détruire notre pays et s'y instaurer un régime féodal élitiste et monarchiste; qu'il ne peut y avoir le moindre doute sur les intentions de ces assaillants, cela est attesté jusqu'au nom qu'ils se sont donné.
Vraiment il faut que le monde comprenne notre position, s'il s'agit d'éviter une guerre civile dans notre pays et l'embrasement de notre région.
En effet, la position du Rwanda est parfaitement conforme aux usages d'aujourd'hui de la loi et de la morale internationale en la matière. Le monde entier, réuni au sein des Nations-Unies, refuse aujourd'hui de négocier avec tel régime avant que celui-ci n'ait entièrement évacué le pays qu'il a conquis par la force et la lutte armées.
D'autres exemples peuvent être fournis.
Porquoi le Rwanda devrait-il faire autrement à l'égard de bandes armées sorties illégalement d'une armée étrangère? L'agression armée caractérisée venant de l'extérieur et dont le Rwanda est victime depuis plus de trois semaines autorise-t-elle vraiment d'accepter l'idée d'une négociation directe avec ces envahisseurs?
Je répète notre position: nous avons accepté un cessez-le-feu, nous en avons fait une déclaration publique à ce sujet, car nous l'estimons dans l'intérêt de toutes les parties engagées, dans l'intérêt de notre région. Ce cessez-le-feu devra permettre à nos ennemis de se retirer de notre territoire sans devoir subir des attaques de la part de nos Forces Armées ni de la population rwandaise.
Ce cessez-le-feu devait intervenir, alors que sur le front militaire, les choses s'étaient stabilisées. Les localités de MUVUMBA, de NYAGATARE et GABIRO sont entièrement entre les mains rwandaises. Les hostilités continuaient cependant à se dérouler le long de l'axe KAGITUMBA-GABIRO.
Nous avons dû constater, à notre grande consternation, que l'ennemi n'a pas hésité à enrôler nombre d'adolescents, arrachés à leurs écoles, et qui, après avoir été entraînés pendant deux jours au maniement d'une arme furent envoyés au front. C'est ce qui ressort des témoignagesrecueillis se certains de ces adolescents, et qui ont aussi pu être interwiewés par la presse nationale et internationale.
L'application de tout cessez-le-feu effectif est évidemment intimement liée à la mise en place d'une force d'interposition neutre, afin de nous garantir la non-violabilité de notre frontière et l'arrêt total de l'approvisionnement de l'ennemi en combatants et en armes.
La presse, les média internationaux ont pu filmer et vérifier ces jours-ci la prise par l'armée rwandaise d'armées très sophistiquées, dont les lance-missiles à moyenne portée.
Le Rwanda est convaincu que l'agression armée dont il fait l'objet depuis bientôt un mois dépasse aujourd'hui de loin l'enjeu rwandais en tant que tel; l'enjeu est devenu régional, mais au-delà même de l'enjeu régional, c'est aussi l'enjeu d'une certaine vision du monde, c'est aussi l'enjeu, aujourd'hui, d'un monde que nous voulons libre.
Et cela ne peut donc plus être la seule affaire du Rwanda.
Rwandaises, Rwandais, Amis du Rwanda!
Cette agression armée contre notre pays fait le plus grand tort de la cause des réfugiées elle-même: elle jette le discrédit sur les solutions rapides et de toutes les parties acceptées, qui étaient en vue; elle risque de réveiller dans notre pays les vieilles blessures qui étaient si bien cicatrisées, et de rendre l'application des solutions envisagées aux problèmes des réfugiés infiniment plus compliqués.
Que ces agresseurs ne sont intéressés ni à la solution des problèmes de réfugiés -ils l'ont dit -, ni au processus démocratique de notre pays -ils le prouvent -, cela ne fait plus l'ombre d'un doute pour personne.
Bien des réfugiés se sont d'ailleurs déjà désolidarisés avec cette agression armée de gens qui ne peuvent même pas être considérés comme des réfugiés.
En effet, les conventions internationales signées à ce sujet sont parfaitement nettes; les clauses de cessation et / ou d'exclusion spécifiant que le statut de réfugié ne s'applique pas aux personnes ayant commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, ou s'étant rendues coupables d'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies.
En effet, les conventions internationales signées à ce sujet sont parfaitement nettes; les clauses de cessation et / ou d'exclusion spécifiant que le statut de réfugié ne s'applique pas aux personnes ayant commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, ou s'étant rendues coupables d'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies.
Ce ne sont donc pas des réfugiés qui nous ont attaqués, mais bien des éléments criminels.
La convention de l'OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, en son article III, points 1 et 2, est encore plus explicite, puisque les Etats signataires s'engagent à interdire aux réfugiés établis sur leur territoire respectif d'attaquer un quelconque Etat membre de l'OUA par toutes activités qui soient de nature à faire naître une tension entre les Etats membres, et notamment par les armes, la voie de la presse écrite et radiodiffusée.
Nous avons donc à faire à des individus sans scrupules, des hors-la-loi qui ne peuvent en aucun cas être les porte-paroles de quelque réfugié que ce soit.
Le discrédit jeté par ces agresseurs sur les solutions qui étaient envisagées, en concertation régionale, pour un règlement rapide et durable du problème de nos réfugiés, est d'autant plus regrettable que ces solutions devaient devenir effectives dès le mois de janvier prochain.
Dois-je rappeler que c'est quelques jours seuleument avant l'invasion de notre pays qu'une Commission composée de réfugiés dans le cadre du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations-Unies (HCR), et qui devait séjourner dans notre pays dans la première moitié de ce mois d'octobre, avait été annulée au dernier moment?
L'objectif visé par ces assaillants n'avait donc rien à avoir - et les réfugiés de bonne foi, et l'opinion publique mondiale commencent à le reconnaître - n'avait rien à avoir avec la solution des problèmes de nos réfugiés, ce problème qui avait fait l'objet d'une partie importante de nos interventions devant l'Assemblée Générale des Nations-Unies, le 30 septembre dernier.
Il faut espérer enfin que ces événements tragiques issus de cerveaux malades ne compromettent pas la concrétisation des solutions prévues pour régler d'une manière pacifique et une fois pour toutes le problème des réfugiés rwandais.
C'est pourquoi je tiens à répéter aujourd'hui, je tiens à assurer aux réfugiés de bonne foi eux-mêmes, à la population rwandaise elle-même et à la communauté internationale que le Gouvernement rwandais, comme il s'y est engagé depuis longtemps, ne négligera rien pour trouver des solutions les meilleures, des solutions concertées, des solutions ouvertes au problème de nos réfugiés, et cela malgré, je dis bien, malgré, cette attaque armée qui essaie de nous rejeter dans les abysses du désespoir.
Le Gouvernement Rwandais, avec le concours de la Communauté Internationale, mettra tout en oeuvre pour accueillir ceux de ses réfugiés qui désirent revenir s'établir sur le territoire national.
Voilà Rwandaises et Rwandais, Amis du Rwanda, ce que j'avais à vous dire aujourd'hui.
La grande réunion régionale qui devait avoir lieu suite au sommet de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs(CEPGL) à Gbado-Lite n'avait, dans un premier temps, pu se tenir, le Président ugandais, Yoweri MUSEVENI recevant au moment moment la visite du Président libyen, le Colonnel KHADDAFI.
Mais grâce à la bonne disposition de toutes les parties concernées, elle a pu être rapidemment reconvoquée et a eu lieu comme vous le savez le 26 octobre dernier.
Elle a dégagé des débats pouvant conduire à un règlement définitif de la crise provoquée par l'agression armée étrangère contre notre pays.
En effet, tous les participants ont endossé unanimement de l'idée d'un cessez-le-feu immédiat, suivi de la mise en place, dans les meilleures délais, d'une troupe d'intervention neutre chargée de vérifier son application stricte. C'est donc un signe d'espoir encourageant de ce sommet régional de Gbado-Lite.
Bientôt, je l'espère, nous pourrons nous consacrer entièrement à la relance de notre économie J'espère que ce sera le contenu d'une de mes prochaines adresses à la Nation. Et attendant, il convient de renforcer encore davantage les circuits de distribution qui se sont remarquablement bien maintenus, garantissant, malgré l'état de guerre dans lequel se trouve notre pays,son approvi-sionnement en produits essentiels.
Je demande aujourd'hui au Ministre du Commerce, à la Banque Nationale du Rwanda, à tous les services concernés, de continuer à renforcer les circuits économiques et de s'assurer que les exportations soient reprises se suite et que les importations permettent d'approvisionner nos industries dans les meilleurs délais.
Militantes et Militants, Amis du Rwanda!
Nous passons par une période difficile qui nous impose à nous tous et à toutes des sacrifices, des privations, des situations personnelles parfois infiniment douloureuses. Je ne puis qu'en appeler à votre compréhension, à votre sens de sacrifice pour le progrès de notre pays, à votre devoir patriotique.
Je vous exprime à vous toutes et tous, ma profonde gratitude, celle de l'ensemble de notre pays, pour l'extraordinaire maîtrise dont vous faites preuve en ces temps si tragiques.
J'exprime à tous nos pays amis, notre reconnaissance pour leur appui et leur engagement à côté du Rwanda dans sa lutte pour la paix dans la région, et son progrès bien compris.
Je voudrais faire une mention particulièrement chaleureuse à l'adresse de toutes et de tous ceux, qui si nombreux, nationaux et expatriés, ici au Rwanda et ailleurs, ont pris si spontanément la défense de notre pays et de ses acquis.
Leur contribution a une part essentielle dans le revirement de l'opinion publique
mondiale en faveur du Rwanda, puisque la vérité s'y fait de plus en plus jour.