J'ai l'honneur de soumettre à votre haute compétence quelques réflexions sur deux correspondances relatives à une enquête
internationale sur la violation des droits de l'Homme au Rwanda. La première dont une photocopie en annexe m'a été adressée en
date du 02/12/1992 par le Comité de liaison des associations de défense des droits de l'homme au Rwanda (CLADHO), la seconde est
une copie de la lettre n° 4602 / 05.00 que le Ministre de la Justice vous a envoyée en date du 11 / 12 / 1992.
1. Considérations générales
Il vous souviendra que suite aux événements malheureux qui ont endeuillé le Bugesera en mars dernier, le Conseil des Ministres,
en sa réunion du 22 mai 1992, a demandé au Ministre de la Justice de commander une mission d'enquête internationale qui devait
non seulement faire la lumière sur les troubles enregistrés dans cette région, mais également couvrir tous les endroits de
violations des droits de l'Homme.
Les discussions qui ont précédé cette prise de décision ont reconnu que cette enquête est du ressort du Ministère public
mais que celui-ci ne disposait pas de tous les moyens requis pour garantir toute crédibilité exigée.
Il sied de signaler que toute enquête de ce genre, lorsqu'elle est recommandée par les instances habilitées, a pour fin de
témoignage devant les cours et tribunaux qui, seuls, ont compétence de décider sur les allégations à charges des personnes
morales ou physiques.
2. Observations sur la lettre du CLADHO
Dans la lettre qu'il a signée pour le CLADHO, le Président de l'A.D.L., Professeur NTEZIMANA Emmanuel, m'informe que ce
comité organise, en collaboration avec des partenaires étrangers, une enquête internationale sur la violation des droits et
libertés au Rwanda depuis le début de la guerre nous imposée par les Inkotanyi.
Sur le plan du fond et de la forme l'on peut noter que l'auteur se serait trompé d'adresse. En effet, il me demande "le
soutien du Gouvernement pour que tout soit mis en œuvre, notamment les autorisations indispensables, la collaboration des
services officiels, …..". Dans ce même contexte, l'intéressé me communique que les enquêteurs internationaux "désirent pouvoir
se rendre dans toutes les régions du pays, y compris les zones de combat et la partie occupée par le F.P.R. et souhaite que je
donne les instructions utiles aux services concernés, pour que les enquêteurs ne connaissent aucune entrave dans leur travail".
L'analyse de ces quelques passages de la lettre du Professeur NTEZIMANA révèle que les Services du Premier Ministre sont les
seuls habilités à répondre à cette demande.
Il me semble qu'il y a eu un lapsus quelque part parce que l'auteur, dans la formule finale de sa correspondance, s'adresse
au Premier Ministre plutôt qu'au Ministère de l'Intérieur et de Développement Communal. Aucun autre département n'a été
officiellement informé.
Sur le plan de la qualité et de la finalité des travaux qui seront produits par ces enquêteurs, il y a lieu de signaler
que des éléments pertinents me font défaut pour apporter une appréciation quelconque; les termes de référence de ladite enquête
dont on fait allusion au paragraphe 2 à la page 1 de la lettre ne me sont pas parvenus jusqu'à date.
Néanmoins, il convient de signaler que les résultats de l'enquête prévue par ledit comité, quand bien même il serait épaulé
par ses partenaires étrangers, n'auront pas de valeur juridique et judiciaire si les instances habilitées ne donnent pas un
mandat explicite à l'organisateur. Dans ce contexte, il paraît peu judicieux de faire un rapprochement entre les investigations
que comptent mener le CLADHO et l'enquête internationale qui devait être réalisée par la Commission que le Ministère de la
Justice était appelée à mettre sur pied.
3. Observations sur la lettre n° 4602/05.00 du 11/12/1992 du Ministre de la Justice
Avec le premier paragraphe de sa lettre, le Ministre de la Justice révèle et avoue que le Département dont il est responsable
n'a pas été â même, jusqu'à date, d'honorer le mandat lui confié par le Gouvernement depuis mai 1992.
Dans toute logique, notre mandataire devrait faire un rapport complet faisant état des démarches qui ont été engagées et les
difficultés qui ont entravé l'évolution normale de sa mission pour permettre au Conseil des Ministres de déterminer avec
objectivité d'autres solutions de rechange.
Au deuxième paragraphe de sa lettre, mon collègue manifeste un grand soulagement occasionné par un accord que le CLADHO vient
d'obtenir de la part de certains organismes étrangers qui ont accepté d'apporter leur collaboration pour mener une enquête
internationale sur la violation des droits de l'homme au Rwanda.
Il est d'autant plus réconforté parce que, comme il le signale au 3e paragraphe, "les résultats d'une commission mise en
place par des associations indépendantes seraient plus fiables que ceux que présenterait une commission constituée sur
l'initiative du Gouvernement ". Ce passage peut conduire à plusieurs interprétations pouvant faire croire que les Rwandais,
premiers bénéficiaires de ces résultats ont de moins en moins confiance au Gouvernement en général et au Ministère de la
Justice en particulier.
En analysant ces deux paragraphes, l'on est tenté de penser que le Ministre de la Justice était au courant depuis un certain
temps des démarches parallèles que le CLADHO avait entamées et qu'il aurait cédé la tâche confiée à son Département à ce Comité.
Dans ce cas, pourquoi a-t-il hésité de saisir le Gouvernement de cette heureuse initiative ?
Loin de vouloir mettre en doute les compétences techniques et la crédibilité du CLADHO, il serait opportun que le Ministre de
la Justice présente au Conseil des Ministres, pour lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la fiabilité des
résultats de l'enquête initiée par ce comité, une analyse comparative des termes de référence de celle-ci et de la commission
qu'il devait commander ainsi que les experts des différents organismes qui ont été retenus. L'examen de ces documents pourrait
conduire le Gouvernement à substituer l'enquête du CLADHO à celle de la commission du Ministère de la Justice.
Eu égard au caractère urgent et hautement important que revêt l'enquête internationale décidée par le Gouvernement, je vous
demanderais, Excellence Monsieur le Premier Ministre, de prévoir un échange de vues sur la question dans la réunion du Conseil
des Ministres programmée le vendredi 18 décembre 1992 pour décider si l'enquête que le CLADHO est entrain d'organiser remplace
celle qui devait être menée par la commission que le Ministère de la Justice était chargé de commander et statuer sur le soutien
que ce comité lui demande.
Il sied de rappeler que le Gouvernement avait demandé au Ministère de la Justice de coordonner et superviser les activités
inhérentes à cette enquête. A moins que le Conseil des Ministres ne prenne une autre décision, ce Département devrait garder
cette fonction.
Je vous prie d'agréer, Excellence Monsieur le Premier Ministre, l'expression de ma très haute considération.
Ministre de l'Intérieur et du
Développement Communal