Quelques documents importants relatifs aux facettes du génocide rwandais.
Testament politique au peuple rwandais
A Son excellence Monsieur le Président
de la République Rwandaise
KIGALI.
Excellence Monsieur le Président,
En ma qualité de patriote ayant fait partie des premiers leaders incontestés de la Révolution Rwandaise et promoteurs de l'indépendance au Rwanda et sur le Continent Africain, je me permets d'émettre votre intention quelques considérations sur la situation alarmante que vit notre pays.
Excellence monsieur le Président, la Révolution de 1959 avait pour objectifs de mettre fin à l'exploitation et l'injustice et de mettre le pouvoir aux nains du peuple, composé à grand majorité par les agriculteurs-éleveurs. Les promoteurs de cette Révolution dont je fais partie n'étaient pas guidés par la soif du pouvoir et des richesses mais par le souci du bien-être et de la libération des masses populaires. Ils l'ont prouvé tant par leur action que dans la simplicité de leur vie quotidienne et aucun deux n'a dévié de cette ligne au point de trahir la Révolution en s'alliant aux anciens oppresseurs.
Etant notre héritier, vous aviez le devoir de continuer sur la ligne tracée par la révolution. Je ne mets pas en doute votre volonté et votre honnêteté à ce sujet. Mais les événements actuels montrent hélas que vos efforts n'ont pas abouti et que les acquis de la Révolution risquent d'être compromis.
La raison principale en est que les collaborateurs les plus influents que vous vous êtes choisis ont été presqu'exclusivement guidés par leurs propres intérêts et ne se sont pas souciés des intérêts de la masse, Ceci les a poussés à intriguer constamment contre les éléments élus et appréciés par le peuple et à les écarter de la direction des affaires publiques. Dans leur aveuglement égoïste, ils ont introduit dans les sphères du pouvoir des personnes douteuses, sans attache dans le peuple, mais avec qui ils réalisaient des affaires lucratives. II s'est ainsi constitué autour de vous une petite minorité composée aussi de Tutsi que de Hutu dont l'action aboutit au même résultat que celui de l'ancienne minorité féodale : confisquer le pouvoir et exploiter le travail du peuple à son propre profit.
Ce n'est pas étonnant dès lors que certains d'entre eux se sont ralliés, ouvertement ou secrètement aux agresseurs féodo-monarchiques pour constituer un front commun destiné à prolonger le pouvoir minoritaire dans le pays. Pendant ce temps, la majorité du peuple et ses éléments démocratiques et progressistes restent impuissants, faute de structures adéquates pouvant les mobiliser pour faire face à ces deux fronts, puisque le MRND dont la politique est restée floue en Ia matière, est noyauté par les groupes antirévolutionnaires ci-haut mentionnés.
Pour sauver le pays, deux actions que vous seul pouvez entreprendre en votre qualité de Chef de l'Etat me semblent indispensables et urgentes:
1.
Réhabilitation de toutes les personnes, anciens élus et serviteurs du peuple, connus pour leur compétence et leur dévouement envers la nation, qui ont été injustement écartées suite à des manœuvres d'intrigues menées par le groupe antinational dont j'ai parlé plus haut.
2.
Concrétiser immédiatement l'ouverture démocratique annoncée dans votre discours du 12 novembre 1990. Ceci permettra à la majorité actuellement muselée de reprendre sa place et de se mobiliser pour défendre le pays qui est en danger. A cet effet, la modification de l'article 7 de la Constitution et le vote d'une loi sur les partis politiques s'avèrent d'une extrême urgence.
Excellence monsieur le Président, les idéaux de paix et d'unité nationales que vous ne cessez de prêcher au peuple rwandais ne peuvent pas être atteintes uniquement par magie de la parole. Leur base doit être plutôt la vérité, l'honnêteté et la justice pour tous dans la conduite des affaires publiques. Telles sont les armes que les promoteurs de Ia Révolution ont utilisées pour conquérir le pouvoir et construire le Rwanda moderne. Ce Rwanda ne peut pas survivre si les mêmes armes ne sont pas employées. Même les interventions extérieures, si puissantes er bienveillantes soient-elles, ne seront d'aucune efficacité durable si ces préalables ne sont pas réalisés.
Au soir de ma vie ayant beaucoup reçu de mon pays, et lui ayant consacré le meilleur de moi-même, ma jeunesse et mon énergie, je serais ingrat si je ne lui donnais pas ma dernière contribution, fort de l'expérience acquise au cours de ma vie active. Je crois sincèrement que des mesures urgentes ne sont pas prises et que par conséquent la confusion actuelle risque d'aboutir à un chaos, générateur de souffrance et de destructions, comme cela se constate actuellement dans de nombreux pays africains
Puisse Dieu préserver notre cher pays de tels événements. Tel est mon souci le plus profond au moment où j'écris ces lignes, considérées comme mon testament politique que je laisse par votre intermédiaire au peuple rwandais et spécialement à tous ceux qui sont animés des idéaux de démocratie, de liberté et de justice qui ont été é la base de la Révolution Rwandaise.
Je laisse cette lettre avec une copie sous plis fermée avec 'ensemble des documents exprimant mes dernières volontés à charge de mon Iégataire universel pour la faire parvenir à votre Excellence et en communiquer le contenu au public par voie de presse.
La seule arme puissante capable de faire face au Front Patriotique Inkotanyi est celle contenue dans le présent message.
Excellence Monsieur le Président, cet écrit n'engage que ma seule responsabilité. Je compte sur votre habituelle intégrité pour que personne ne soit poursuivi pour vous l'avoir transmis et mis à jour dans la presse.
Fait à Gafumba, le 25 février 1991
GASINGWA Germain
Un des leaders de la Révolution de 1959 et
Ex-Président du Parti de la Masse APROSOMA
B.P. 178 BUTARE