Quelques points de vue sur le problème racial au Rwanda.
Général Léonidas Rusatira dit à Traits d'Union Rwanda (01.04.1996):
"Fusionner les deux
armées en écartant".
T.U.R.: Appartenez-vous à uner certaine tendance politique parmi la communauté des réfugiés ?
L.R.: Je suis encore militaire, et, à ce titre, je n'appartiens et je n'ai appartenu à aucun parti
politique. Je n'appartiens encore à aucune association des réfugiés
T.U.R.: Comment voyez-vous la réconciliation nationale au Rwanda ? Qui doit se réconcilier et par quels
mécanismes ?
L.R.: C'est une question de pouvoir qui provoque les luttes cycliques entre les deux principales
ethnies rwandaises. L'histoire nous apprend que le problème existe depuis longtemps. Il y a eu des luttes et même des guerres
entre différents royaumes de l'ancien Rwanda et souvent il s'agissait des luttes entre des monarques tutsi qui voulaient
conquérir des royaumes hutu. Les pouvoirs qui se sont succédés sont responsables de n'avoir pas pu amener tous les Rwandais,
Hutu, Tutsi et Twa, à cohabiter pacifiquement.
Pour résoudre ces problèmes, il faut que les leaders sachent remplacer une mentalité séparatiste et sectariste par un discours
prêchant la coexistence pacifique et le patriotisme. Mais la réconciliation nationale doit être l'œuvre de tous les Rwandais.
Il faut que je vous dise que la guerre n'est pas un facteur de réconciliation. Elle vient de nous montrer qu'elle est plutôt
un facteur de destruction. Il nous faut plutôt l'ouverture, le dialogue, la tolérance.
T.U.R.: Est-ce que vous croyez que cette ouverture est possible après les massacres ou le génocide des
Tutsi, après les massacres de représaille et la fuite de nombreux réfugiés hutu ?
L.R.: Il y a eu beaucoup trop de maux dans ce pays, dans cette guerre qui a commencé le 1er octobre
1990 et qui continue d'ailleurs, puisque nous voyons encore toutes ses retombées et toutes ses conséquences. Mais la situation
du Rwanda n'est pas unique au monde. En Afrique du Sud, les Blancs et les Noirs sont entrain de reconstruire leur pays en
reconnaissant leurs droits et leurs libertés. Au Rwanda aussi, je ne pense pas que la meilleure attitude soit de continuer à se
détruire. Au contraire, il faut construire sur les cendres de nos compatriotes des deux ethnies qui ont perdu leur vie dans cette
guerre. Il faut que leur sacrifice soit pour nous le socle de la reconstruction de notre pays, mais que chacun sache qu'il n' y a
pas de personnes plus innocentes que d'autres car, d'une façon ou d'une autre, chacun a été impliqué dans cette situation
malheureuse.
Concernant la crise de confiance entre Hutu et Tutsi, je propose, comme dernier recours, l'éventualité d'une répartition fédérale,
et non d'une partition, du pays entre les deux ethnies, en fonction de l'importance de leurs populations respectives au sein de
la population totale rwandaise. Cette mesure a pour but de prévenir les inégalités dans la répartition des terres consécutives
à " l'ethnilandisation " en cours par le FPR et les conflits éventuels qui pourraient en découler.
T.U.R.: En tant que militaire, quel rôle attribuez-vous aux armées pour contribuer à la réconciliation
nationale ?
L.R.: Je ne partage pas l'opinion selon laquelle les forces armées rwandaises se seraient livrées en
tant que corps aux massacres des populations. Je sais qu'il y a eu des militaires qui se sont livrés à des actes inconsidérés, à
des massacres. La justice internationale devrait les identifier et les punir individuellement. Je suis d'avis que pour la
réconciliation nationale, le rétablissement de la paix et de la stabilité du pays, il faut absolument trouver les moyens de
procéder à une intégration authentique des deux forces armées, à savoir l'APR er les FAR.
T.U.R.: Lorsque vous aviez pris la décision de rejoindre l'armée du FPR au Rwanda, était-ce pour vous
désolidariser avec l'armée que Kigali appellée une armée de tueurs ?
L.R.: Je suis parti au Zaire après avoir fait une déclaration à Kigeme le 6 juillet 1994, qui invitait
les forces armées rwandaises à se désolidariser des tueurs. Je suis rentré au Rwanda, comme n'importe quel Rwandais voudrait y
retourner. Je ne me suis donc pas désolidarisé ni des forces armées d'alors, ni des autres compatriotes qui restaient à l'extérieur.
Je prenais les devants pour montrer ma bonne volonté pour la reconstruction du pays et encourager mes compatriotes à rentrer en paix,
sans trop tarder ni trop souffrir. Peut-être y ai-je pensé trop tôt, car je n'y ai pas réussi du premier coup et je me retrouve
encore en exil.
T.U.R.: Mais Kigali dit que les conditions propices au retour des réfugiés sont actuellement réunies au
Rwanda. Qu'en dites-vous, vous qui venez de quitter récemment le pays ?
L.R.: Au Rwanda, les gens vivent dans la terreur que les étrangers ne peuvent pas déceler s'ils ne
s'approchent pas davantage des collines. Il n' y a pas la sécurité nécessaire. Le gouvernement rwandais voudrait le retour des
réfugiés de façon sélective. Il préfère le retour de ceux qui n'auront pas de revendications politiques, qui n'ont pas à réclamer
leurs biens, notamment dans les villes, bref des gens qui vont se soumettre sans rien revendiquer. C'est pour cela qu'un dispositif
nécessaire est à mettre en place pour que les réfugiés rentrent en espérant bénéficier de la garantie de paix et de sécurité dans
le pays. Il faut que les réfügiés soient rassurés de rentrer dans leurs biens. Il faut qu'ils soient assurés d'être protégés. Il
faut qu'ils soient assurés qu'ils vont participer activement avec leurs droits et libertés à la vie nationale, c'est-à-dire toute
l'activité politique, économique, le droit d'accéder à un emploi.., sans être limités par d'autres considérations que des compétences
personnelles.
T.U.R.: Croyez-vous que les crimes commis après le 6 avril 1994 peuvent être qualifiés de génocide contre
les populations civiles tutsi ?
L.R.: Pour moi, depuis le début de la guerre d'octobre 1990, il y a eu beaucoup trop de crimes contre
le peuple rwandais. Ces crimes se sont accentués à partir du 6 avril 1994 où il y a eu un génocide spontané, massif, indicible
contre les Tutsi, exacerbé par les médias de la haine et provoqué par la mort du Président Habyarimana. Certaines sources ont fait
état d'une planification de ce génocide. Mais je ne sais pas si le génocide aurait nécessairement eu lieu sans l'assassinat du
Président Habyarimana. Dans les zones du FPR, il y a eu trop de crimes aussi. Si on peut qualifier de génocide les massacres à
grande échelle, j'appellerais cela génocide parce qu'il y a eu des centaine de milliers de morts. Personnellement, je considère
que depuis octobre 1990 jusqu'à présent, il y a également un génocide à petit feu, méthodique, contre les Hutu.
Le Général Rusatira avait rejoint l'armée du gouvernement FPR, redevint Colonel et prit le chemin de
l'exil quelques mois plus tard.