Quelques points de vue sur le problème racial au Rwanda.
Dr. Innocent Butare (Secrétaire du RDR) dit à Traits d'Union Rwanda (01.04.1996):
"Non à la
globalisation, à la marginalisation et à l'exclusion".
T.U.R.: Comment envisagez-vous la réconciliation nationale ? Dans le cas précis du Rwanda, qui doit se
réconcilier avec qui et par quels mécanismes ?
I.B.: La réconciliation nationale peut être interprétée comme étant la volonté, la démarche visant
à se parler, à revivre ensemble, à entreprendre et à essayer de ressouder le fil qui était cassé, après être séparés par une
brouille, une mésentente, une trahison. Dans le cas précis du Rwanda, la réconciliation nationale doit essayer de régler le
contentieux de haine et de division entre les Hutu et les Tutsi, les gens du Nord et les gens du Sud, les gens qui appartiennent
à différents partis politiques, parce que ce sont les trois principaux facteurs de division du peuple rwandais. En fait, c'est
tout le peuple qui doit se réconcilier, mais principalement les élites, car ce sont elles qui entraînent la société entière
dans la catastrophe, lors de leur compétition pour le pouvoir. La réconciliation devait commencer par eux. Sie ceux-là s'entendent,
les autres vont s'entendre aussi.
T.U.R.: Qu'est ce qui a divisé les Rwandais ? Est-ce que le simple fait d'appartenir à une ethnie justifie
les massacres et le génocide ?
I.B.: Absolument pas. Qu'il y ait des ethnies ne justifie pas les massacres, mais c'est l'exercice du
pouvoir, qui a été longtemps absolu et exclusif. Du temps de la monarchie, toute la fraction qui détenait le pouvoir appartenait
presque excclusivement à l'ethnie tutsi en excluant les Hutu. Après la révolution de 1959, le pouvoir est allé aux Hutu, qui eux
aussi, il faut oser le dire si on veut se réconcilier avec lui-même, ont pratiqué l'exclusion des Tutsi. Pendant longtemps, il
n'y avait aucun bourgmestre tutsi, aucun préfet, et dans l'armée, très peu d'officiers tutsi. Pendant la Deuxième République,
cette exclusion n'a pas joué seulement contre les Tutsi, mais aussi contre les gens du Sud, le pouvoir étant monopolisé par une
petite minorité de gens originaires du Nord, civils et militaires.
T.U.R.: Par quels mécanismes devrait-on se réconcilier ?
I.B.: La réconciliation exige d'abord le souci d'établir un dialogue. Pour que les gens puissent se
réconcilier, il faut les amener à se parler franchement, à examiner toute l'histoire, ce qui les divise, ce qu'ils ont en commun.
Mais en premier lieu, ils doivent examiner les garanties de sécurité. Les réfugiés ont besoin des garanties car, après avoir vu
les violations graves des droits de l'homme commises par le FPR avant de prendre le pouvoir, notamment les gens massacrés à Byumba
et Ruhengeri, ceux qui continuent à mourir à travers tout le pays, on comprend ce besoin d'être sécurisé. Les Tutsi aussi doivent
être rassurés que l'intention des Hutu n'est pas de les supprimer, mais plutôt de cohabiter… Donc les gens doivent discuter de tout
cela.
Le dialogue politique entre le RDR et le FPR est capital pour servir de déclencheur et débloquer le processus de réconciliation,
parce que pour le moment il y a des peurs et des suspicions de part et d'autre. Mais ça ne suffirait pas, il faut entraîner toute
la société dans ce processus de réconciliation qui doit être plus large et inclure tous les segments de la société. Les représentants
des réfugiés ne doivent pas discuter avec le FPR, quoique ce dernier soit le principal interlocuteur. Au-delà du FPR, il y a des
gens qui appartiennent à d'autres partis politiques, même si ce sont des factions, ils restent représentatifs, il y a une population
qui se reconnaît en eux, il y a les leaders d'opinion, il y a la société civile qui est écrasée par le FPR, mais qui essaie de
survivre, je crois que tout ce mouvement social devrait participer à ce processus de réconciliation. Pourquoi ne pas reprendre
l'idée, qui malheureusement a été galvaudée, d'une conférence nationale, un forum de discussion sur la meilleure manière de faire
revivre ensemble les Hutu et les Tutsi, les gens du Nord et les gens du Sud, pour réfléchir sur l'organisation future de leur
société et sur son mode de gestion et enfin examiner les modalités de civiliser la compétition pour le pouvoir. Nous avons déjà
fait le premier pas. Nous avons approché le gouvernement de Kigali, naous essayons des contacts officiels et officieux mais, jusqu'à
présent, le gouvernement de Kigali bloque.
T.U.R.: Une certaine opinion dit que parmi les hauts responsables et les membres du RDR, il y aurait des
personnes impliquées dans le génocide et les massacres, notamment ceux qui étaient dans les organes dirigeants du parti MRND, ainsi
que ce qui étaient dynamiques dans le parti CDR et les tendances des partis MDR, PSD, PL, et PDC connues comme " Hutu Power ". Qu'en
dites-vous ?
I.B.: Nos positions sont claires. Nous condamnons et continuons d'affirmer que les responsables de tous
les massacres et de tous les crimes contre l'humanité doivent répondre de leurs actes devant le TPIR. Ils doivent être identifiés,
jugés et punis s'ils sont reconnus coupables. Mais étant données les tensions et les divisions de toutes sortes qui ont précipité
le peuple rwandais dans l'abîme, étant donné les traumatismes et les blessures profondes des uns et des autres, je crois que ce
serait une attitude irresponsable et sentimentale que de se mettre à désigner les responsables de ce qui s'est passé au Rwanda.
Puisque naus avons la chance d'avoir une instance neutre, en l'occurrence du TPIR. Seul ce tribunal est habilité à identifier,
traduire en justice et juger les responsables des violations graves des droits de l'homme au Rwanda. Au lieu de se substituer au
tribunal, avant tout jugement, une attitude responsable est d'aider et soutenir ce tribunal, pour qu'il travaille correctement.
Concrètement, il faut demander aux Ntions Unies d' y affecter les moyens suffisants, et à ceux qui seront inculpés de venir
répondre spontanément des actes dont ils sont accusés. Il faut que toute personne connaissant un fragment de vérité vienne
témoigner. Il faut que les gens s'investissent dans ce travail de contribuer à la vérité par des témoignages corroborés par
les faits précis. Ce ne sont pas les opinions des uns et des autres dont le tribunal a besoin.
Concernant l'orchestration du plan d'extermination d'une certaine composante de la population rwandaise par un organe quelconque
du parti, je suis formel la-dessus : il n' y a jamais eu d'instance du parti qui ait discuté de cette affaire, ni en prendre
connaissance.
T.U.R.: Vous ne parlez pas de génocide. Cette terminologie vous semble inadéquate ?
I.B.: L'affaire de génocide n'est pas question de terminologie. Nous disons depuis 1990, avec la guerre,
il y a eu beaucoup de violations graves, massives et généralisées des droits de l'homme au Rwanda. Certaines de ces violations ont
été qualifiées de génocide. Notre attitude est de les condammer toutes. La qualification de crimes n'enleve rien aux horreurs qui
se sont passées.
T.U.R.: Quel rôle attribuez-vous à la justice pour contribuer à la réconciliation nationale rwandaise ?
Avez-vous confiance en la justice rwandaise ?
I.B.: la justice est capitale dans le processus de réconciliation nationale. Il faut absolument que
justice soit rendue au peuple rwandais, mais pas une fraction du peuple. Nous insistons que les enquêtes menées dans le cadre du
Tribunal Pénal International pour le Rwanda ne s'intéressent pas seulement à ce qui s'est passé dans la partie alors sous contrôle
gouvernemental.
Qu'elles s'intéressent aussi à ce qui s'est passé dans la partie alors sous contrôle du FPR, et maintenant ce qui se passe
actuellement au Rwanda, si on veut réellement une réconciliation nationale. Qui dit justice, dit deux plateaux, la justice à
un plateau n'existe pas. Il faut qu'on regarde les deux côtés.
Nous n'avons pas du tout confiance dans la justice rwandaise car on ne peut pas demander à une victime de se faire justice.
Il faut quelqu'un de neutre. Nous pensons que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda pourrait faire l'affaire et que
les juges internationaux pourraient l'aider.
Puisque l'attentat contre l'avion du Président Habyarimana est le fait détonateur du drame rwandais, nous insistons pour que
toute la vérité soit connue sur les circonstances de cet attentat. Mais le processus de réconciliation nationale ne doit pas
attendre que le dernier coupable soit jugé et condamné.
T.U.R.: Y a-t-il des préalables à la réconcilation nationale ?
I.B.: Non, il n' y a pas de préalables. Seulement, si le gouvernement de Kigali veut réellement la
réconciliation, il faut qu'il cesse immédiatement les arrestations et détentions arbitraires et que des personnes innocentes qui croupissent
dans les prisons rwandaises soient immédiatement libérées. Il faut que la culpabilisation globalisante cesse, que le gouvernement
s'engage à ramener la sécurité dans le pays, à libérer les biens squattés et que chacun fasse un examen de conscience sur ses
propres responsabilités dans la mise en place du mauvais théâtre rwandais. Aussi, il faut que cesse la marginalisation et
l'exclusion de la gouvernance du pays de la grande majorité de la communauté rwandaise.
Sans dialogue franc et sincère, il n' y a pas de chance de se réconcilier.