Quelques documents importants relatifs aux facettes du génocide rwandais.
SOCIETE DES MISSIONNAIRES D'AFRIQUE (PERES BLANCS) a.s.b.l
1040 BRUXELLES, le 24 août 1994 RUE CHARLES DEGROUX 118 TEL : (02) 736 39 78 - C.CP. 000.0073523-94
Du 1er au 12 août dernier, le Frère Kees Maas est allé au Rwanda pour une mission de Caritas Hollande : il s'agissait de préparer
la distribution de 30.000 couvertures données au Diocèse de Kibungo. A l'occasion de cette mission, il a eu l'occasion de rencontrer
beaucoup de personnes, entre autres, Mgr. Rubwejanga, les prêtres de Kigali, de Rwamagana, de Kibungo, nos confrères de Nyagahanga.
Il s'est aussi rendu dans les camps de Benako et Ngara en Tanzanie, est passé à la Maison Régionale à Kigali qu'il a trouvée
relativement indemne.
Quelques jours plus tard, le Père Antonio Martinez a pu, lui aussi, traverser le Rwanda : Butare, Kabgayi, Kigali, Nyagahanga...
Nos confrères n'avaient jamais eu autant de visites en si peu de jours.
Ce soir, partent pour Bujumbura, puis Kigali, les Frères Pedro Sala, assistant général, et Jan Lenssen, régional du Rwanda, à la
fois pour reprendre contact avec les cadres de l'Eglise qui sont au Rwanda et pour étudier les modalités concrètes du retour de
certains confrères dans le pays.
L'abbé Josaphat Hitimana, de passage à Bruxelles, nous a donné des nouvelles du diocèse de Kabgayi. C'est ainsi que nous vous
annonçons que l'abbé Jean-Baptiste Ruzigana a été tué à Kibangu par la population, ce que nous n'avions pas encore mentionné. Nous
profitons aussi de l'occasion pour vous donner la liste des évangélistes et pasteurs de l'Eglise presbytérienne du Rwanda (E.P.R)
qui, en plus d' une multitude de chrétiens, d'anciens et de diacres, ont été tués au Rwanda
M. Olivier Iyakaremye (vice-président du Synode Général, avec toute sa famille); Jénile Josué, évangéliste; Jonathan Mpambara,
évangéliste et toute sa famille; les pasteurs Edouard Gafaranga, J.M.V. Munyakararna (et sa famille), Athanase Rwamuhizi, Cléophas
Gasenge (et son fils), Léonidas Gasinzigwa, Guillaume Mugemanyi (et toute sa famille), Alphonse Nkurunziza (traducteur de
la Bible - projet œcuménique), Epaphrodite Munyansanga, Albert Muganga, Oscar Rwasibo (et sa famille ainsi que la famille du
pasteur Aaron Mugemera (lui est vivant) et Mme Pasteur Rutaganda Désiré et son fils aîné et le Pasteur Fidèle Ngirabatware.
Nous avons aussi rencontré deux missionnaires canadiens envoyés en mission d'évaluation au Burundi et au Rwanda, le Père
Louis-Joseph Goulet s.j. et la Sœur Mireille Morin m.i.c., au retour de leur mission. Il leur semble que l'Eglise Rwandaise est
divisée (ex: à Bukavu, les Pères tutsis sont d'un côté, les Hutu de l'autre ; il en va de même dans plusieurs communautés
religieuses : les membres ne se parlent plus entre eux). Pour eux, une des premières urgences est d'aider les cadres de l'Eglise
au dialogue et un effort de réflexion et de réconciliation. Ce n'est que par la suite qu'une pastorale de réconciliation sera
possible.
Cet effort de dialogue est absolument nécessaire aussi au niveau politique. C'est l'occasion de vous renvoyer aux différentes
lettres publiées par Mgr Christophe Munzihirwa, l'archevêque de Bukavu, au sujet de la situation rwandaise. Nous citons la lettre
du 2 août adressée à M. Boutros Boutros Ghali : "Etant donné que le Rwanda est détruit par les extrémistes des deux bords, nous
demandons aux grandes puissances d'aujourd'hui de rendre possible la rencontre rapide entre tous les Rwandais afin qu'ils trouvent
une solution négociée et équilibrée". Il nous semble en effet que seule une rencontre du genre d'Arusha (Arusha 2) pourra établir
les bases d'une paix véritable et assurer des conditions de sécurité suffisantes pour que les refugiés acceptent de rentrer au
Rwanda.
C'est dans le même sens que ces derniers temps sont parties d'Europe des missions l'une des ONG pour prendre contact avec leurs
partenaires vivant à l'intérieur du Rwanda et à l'extérieur de celui-ci pour une conférence éventuelle regroupant toutes les
tendances. Une autre est partie pour étudier la possibilité d'envoyer de nombreux observateurs à l'intérieur du pays afin de
contribuer à la mise en place d'un état de droit et d'un système judiciaire fiable et impartial.
En effet, ces derniers temps nous arrivent des témoignages divers sur les exactions du F.P.R. Nous voudrions citer quelques
témoignages :
"Lundi, le 1er Juillet, la ville de Butare est tombée. J'étais rentré à la maison. Maintenant, je suis dans la zone conquise par
le FPR. J'avais espéré que les gens du FPR étaient plus intelligents que les tueurs de Kambanda. Mais non ! Tous les soldats sont
les mêmes, sous toutes les latitudes : ça pense peu, et ça démolit beaucoup. La ville de Butare est dévastée. Ils nous ont parqué
dans des "camps de concentration" pour pouvoir mieux piller la ville et nos maisons. Maintenant ils nous ont laissés rentrer dans
nos ruines, où nous mourons de faim. A Butare, à l'économat général, ils ont tout saccagé et pillé. Il faudra tout: rebâtir et tout
rééquiper, si jamais nous survivons. Car le FPR me paraît en train de perdre la bataille de la population ! Le FPR est pour le
moment occupé à la vengeance plus qu'à autre chose, ce qui fait qu'il ne pourra pas inspirer confiance aux populations refugiées
au Zaïre. Or, ne pas pouvoir leur inspirer confiance signifie la reprise de la guerre, car n'oublions pas, l'ancienne armée
rwandaise n'a pas été démolie, mais simplement refoulée... Je ne peux pas aller à Bukavu, attendu que je suis recherché par les
Interahamwe pour avoir lutté activement contre le génocide des Tutsi. .."
"L'Evêché a été pillé ; les maisons des environs aussi; des Rwandais qui vivaient en Occident, au Kenya, en Uganda sont venus
occuper les belles maisons de Butare. Pour visiter certains Européens qui vivent à Butare, il y a des difficultés: même les autres
Européens doivent recevoir la permission du FPR pour pouvoir les rencontrer. Le monastère de Sovu est devenu un bâtiment du FFR ;
il y a une garnison et des enfants de 12-15 ans y reçoivent un entrainement militaire..."
"En ce qui concerne la région de Gikongoro, les quelques déplacés qui ont quitté la zone de protection française vers celles du
FPR sont rassemblés dans un "camp de transit", à Kizi, prés de Butare où ils sont fouillés, interrogés, et éventuellement "jugés",
avant pour certains d'entre eux, d'être autorisés à poursuivre leur route... Selon des témoignages recueillis, ces camps servent
surtout à repérer les auteurs des massacres qui, s'ils sont reconnus coupables par un minimum de cinq personnes, sont immédiatement
exécutés... L'un d'eux qui a survécu à l'une de ces exécutions sommaires a raconté aux militaires français, avoir été violemment
frappé à la tête à coup de massue avant d'être précipité dans un trou d'une dizaine de mètres de profondeur déjà à moitié rempli de
corps. Il affirme avoir passé au moins deux jours dans cette fosse avant de pouvoir s'échapper et de rejoindre un détachement de
l'armée française. Son témoignage a été transmis au siège de la MINUAR à Kigali afin que les observateurs militaires de l'ONU
puissent enquêter".
" Jeudi soir, j'ai vu arriver à Kigali, un abbé rwandais, mort de peur. Mercredi, le 10 août, sont arrivés à Kabgayi, venant de
Kibuye, 3 abbés. Ils ont logé chez les Bizeramariya. Jeudi matin, vers 10 h, ils ont célébré la messe à la cathédrale. Après la
messe, le préfet de Gitarama, un jeune colonel, s'est présenté avec des militaires et il leur a donné l'ordre de quitter Kabgayi,
de ne plus célébrer la messe à la cathédrale et les a menacés fort sérieusement. Deux abbés sont venus à Kigali. André Sibomana est
resté à Kabgayi et a dit qu'il y resterait: et célébrerait la messe, même si on devait le tuer pour cela..." (Aux dernières nouvelles,
le FPR accepte qu'il y reste et célèbre à la cathédrale).
Autres nouvelles reçues de Jean-Pierre Godding de Goma : les camps de refugiés sont de mieux en mieux organisés (ceux de Mugunga,
Kibumba et Katale compte chacun près de 300.000 personnes. Lui-même est coordinateur des camps qui ont été établis à Buhimba pour
tous les enfants "non-accompagnés" : quatre camps ont été mis sur pied :
Buhimba I -Bethléem : Sœurs Abizeramariya :
500 enfants
Buhimba II -Nazareth : Filles de la Charité :
500 enfants
Buhimba III -Sœurs Carmélites Apostoliques :
80 (- de 1 an) + 120 (1 à 3 ans) enfants
Buhimba IV -Sœurs de l'Assomption :
100 enfants pour le moment.
Tous logent sous tentes... Il donne aussi des détails sur le ramassage des cadavres (travail confié à Caritas Goma):
21.07
1.332 corps
22.07
1.188 corps
23.07
780 corps
à partir du 27 Caritas Internationalis avec les grands séminaristes rwandais:
27.07
395 corps
28.07
615 corps
29.07
390 corps
30.07
933 corps
31.07
523 corps
01.08
159 corps
02.08
178 corps
03.08
315 corps
04.08
68 corps
05.08
128 corps
L'abbé Edouard Ntuliye est responsable du suivi des camps;. beaucoup de prêtres, religieux et religieuses semblent engagés dans
ces camps.
Nous terminons en vous signalant que le N° 176 de DIALOGUE (juin-juillet 1994) est enfin sorti de presse (en Belgique, les
vacances sont cause de certains retards!)