Quelques documents importants relatifs aux facettes du génocide rwandais.
LA SUITE DU GENOCIDE AU RWANDA
Absence de Poursuites, la Continuation des Tueries (HRW, 15.09.1994)
Dévasté par un génocide qui a couté la vie à au moins un demi-million de Tutsi, le Rwanda continue de souffrir des séquelles
de ces massacres catastrophiques. Selon Human Rights Watch/Africa, dont le représentant vient de terminer une mission de dix jours
au Rwanda:
Le gouvernement actuel manque de ressources pour commencer la persécution de milliers accusés de participer aux massacres.
La communauté internationale, malgré ses ressources infiniment plus grandes, n'a pas fait grande chose pour rassembler
les preuves nécessaires pour les procédures judiciaires.
La perspective des jugements étant encore distante, les personnes accusées, justement ou faussement, de participer aux massacres
sont tuées ou disparaissent de leurs communautés, souvent dans les mains des soldats du gouvernement. Un petit nombre de ceux gui
ont été pris par des soldats ont été livrés aux autorités civiles pour jugement mais beaucoup d'autres sont présumés morts.
Le gouvernement a dénoncé les tueries de vengeance, mais n'a pas réagi de manière efficace pour mettre fin à ces tueries.
Des soldats du Front Patriotique Rwandais ont aussi tué beaucoup de civils pendant la guerre contre ce gui était alors le
gouvernement rwandais, en violant ainsi las conventions de Genève. Soixante-quatre soldats ont été arrêtés, mais ils ne sont
pas tous accusés de tuer des civils.
PERSECUTION DES ACCUSES DU GENOCIDE
Le nouveau gouvernement du Rwanda a informé le Secrétaire Général des Nations Unies qu'il sera d'accord pour la persécution de
certaines personnes accusées de génocide par un Tribunal International. Il a aussi annoncé qu'il persécutera lui-même tous les
autres accusés de massacres, même si le nombre atteint les milliers.
Cependant, les autorités rwandaises admettent volontiers qu'elles manquent les ressources pour entreprendre cette tache de grande
envergure. Le Ministre de la Justice, Alphonse-Marie Nkubito, a tout au plus quarante juges et procureurs à sa disposition et estime
qu'il lui faut au moins quatre-vingt pour faire les jugements dans tout le pays. Il n'a pratiquement pas d'inspecteurs de police
judiciaires pour rassembler les preuves pour les jugements. Son ministère ne dispose pas de véhicule, équipements de communication,
ou même les équipements de base de bureaux pour mener les investigations. Il dirige le ministère depuis une chambre d'hôtel.
A peu près mille cinq cent personnes accusées de massacres sont maintenant détenues dans la prison centrale da Kigali, mais le
seul procureur, avec cinq adjoints, peut à peine commencer à examiner leurs cas. Le Ministère de la Justice ne dispose pas de fonds
pour fournir nourriture et équipements aux prisonniers et doit faire des arrangements avec le World Food Program pour les nourrir.
Au moment de la visite à la prison par Human Rights Watch, la fourniture de haricots avait été épuisée et seulement les produits de
maïs étaient disponibles pour nourrir les prisonniers. Des centaines d'autres personnes accusées sont toujours dans les camps
militaires où elles attendent d'être transférées en prison. Le ministère espère ouvrir la prison de Gitarama, mais n'est pas sur
d'avoir les ressources pour le faire.
L'administration civile a été établie dans à peu près la moitié du pays, la plupart des autorités au plus bas niveau local
(conseillers, responsables) élus par la population et les bourgmestres nommés par le commandant militaire local. Même dans les
communautés qui ont une administration civile, l'armée continue d'assurer l'ordre. Une force de police civile n'a pas encore été
constituée.
LE TRIBUNAL INTERNATIONAL
La communauté internationale, honteusement absente au moment du génocide, a insisté pour que les coupables soient traduits en
justice. A cette fin, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a établi une Commission d'Experts pour examiner le cas et donner
des conseils sur l'opportunité de procédures supplémentaires par un tribunal international. La Commission a visité le Rwanda au
début du mois de septembre mais ne compte pas publier son rapport intérimaire avant la fin du mois. La mise en place d'un tribunal
international, avec une équipe suffisante de procureurs, aurait lieu quelques temps après cette date et les jugements auraient lieu
encore plus tard dans l'avenir. Human Rights Watch/Africa soutient avec force d'étendre le Tribunal International qui est en train
de juger les crimes de guerre dans l'ancienne Yougoslavie pour s'occuper aussi du cas de génocide du Rwanda.
L'addition dune chambre supplémentaire et d'un autre procureur au tribunal en place demanderait moins de ressources et se ferait
plus rapidement que la création d'une cour complètement nouvelle. Cependant, au moins un membre da la Commission d'Experts a déjà
exprimé l'opinion qu'un nouveau tribunal indépendant est nécessaire. Si cette idée prévalait, le début des jugements serait retardé
davantage.
La Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies a aussi nommé un Rapporteur Spécial pour enquêter sur les massacres au
Rwanda. Sa représentante au Rwanda est chargée de rassembler les preuves sur le génocide, mais elle manque de tout pour mener une
enquête efficace, comme par exemple un véhicule pour se rendre en dehors de la capitale. Human Rights Watch/Africa. a pu enregistrer
des cassettes audio des émissions de la Radio des Mille Collines, une station de radio privée qui a incité la population au génocide.
Ces émissions pourrait servir d'élément de preuve important au moment dune persécution éventuelle. Quand Human Rights Watch a proposé
d'en faire des copies pour la représentante du Rapporteur Spécial, elle ne pouvait pas se procurer de cassettes vierges pour faire
les copies. Des cassettes se vendaient à Kigali à un prix de $2.00 la pièce.
Des conflits internes et entre les différentes branches de la bureaucratie des Nations Unies semblent avoir été à l'origine des
délais qui ont empêché l'enquête sur le génocide.
Parmi les signataires de la Convention pour la Prévention et la Suppression du Génocide, la France est un des rares pays à avoir
inclu dans son Code Pénal des dispositions adéquates contre le génocide. La Belgique a fait une loi pour la persécution des crimes
de guerre et des crimes contre l'humanité. Malgré que la juridiction de juger ces crimes est universelle, c'est a dire sans
considération du lieu de perpétration du crime, ni la France ni la Belgique n'a fait un effort d'arrêter les personnes présumées
coupables qui résident maintenant sur leurs territoires respectifs.
MASSACRES, ARRESTATIONS ET DISPARITIONS DES ACCUSES
Dans l'absence des persécutions par les autorités nationales ou internationales, des soldats du Front Patriotique Rwandais et les
victimes du génocide ont tué, arrêté, et porté disparu des personnes accusées justement au faussement d'avoir participé aux
massacres. Dans les communautés du nord-ouest, dans la région centrale et au sud et à l'est du pays, Human Rights Watch/Africa a
rassemblé des témoignages sur les massacres et disparitions.
La première date depuis la première arrivée du FPR dans la région et la plus récente a eu lieu le 2 septembre, le dernier jour où
l'information a été collectée.
Parmi les cas les plus dramatiques figurent les suivants:
A la paroisse de Kivumu, au nord de Gitarama, les prêtres furent évacués quand les soldats du FPR arrivèrent pour occuper les
lieux. Quand les prêtres retournèrent à la fin de juillet, ils trouvèrent un nombre considérable de corps. Apparemment, des
victimes, dont les bras avaient été attachés, avaient été rassemblées pour interrogatoire par les soldats et avaient été
battus à mort. Les prêtres organisèrent l'enterrement des corps dans trois grandes fosses communes qui ont été localisées et
photographiées par Human Rights Watch/Africa.
Le 13 juillet, dans la ville de Butare, des soldats du FPR ont rassemblé plusieurs centaines de déplacés originaires des communes
Ntyazo, Ngenda et Vumbi et leur ont dit qu'ils allaient être transportés ou bien au stade de Butare ou chez eux. Mais plutôt ils
étaient détenus au Groupe Scolaire, un complexe de bâtiments dans la ville. Quelques femmes étaient éventuellement relâchées, mais
la plupart des hommes n'ont pas fait signe de vie depuis la séparation. Des hommes étaient détenus à l'école vétérinaire, qui a été
gardée depuis par des soldats. Des journalistes et la Représentante du Rapporteur spécial des Nations Unies ont demandé de visiter le
lieu mais n'ont pas eu la permission nécessaire. Des témoins ont raconté que pendant une période de deux jours, ils ont entendu des
bruits des gens tués dans les bois proches de l'école.
Le 22 juillet, des centaines de personnes déplacées à la paroisse de Save furent rassemblées pour une réunion finale avant d'être
renvoyées chez elles. Des soldats gui organisaient la réunion ont demandé aux familles des tués de désigner les tueurs. Les deux
cent personnes désignées furent amenées pour subir des interrogatoires. A peu prés une douzaine de ces gens furent relâchées plus
tard. Certains étaient libérés, y compris un homme nommé Mugiraneza, étaient amenés une deuxième fois quelques jours plus tard par
des soldats.
Le bourgmestre de la commune de Shyanda, un homme nommé Théophile, fut amené au début d'août ‚ avec cinq personnes de la famille de
Pedro Niyitegeka.
A Rango, au Sud de Butare, des soldats du FPR ont organisé une réunion le vendredi 8 juillet de plusieurs centaines de personnes
déplacées venant des communes de Gashora, Ngoma et Runyinya. On demandait aux personnes portant certains noms, tels Emmanuel ou
Charles, d'avancer. Ils furent pris et enfermés cette nuit dans le centre de santé de Rango et n'ont pas été vu depuis. Quand la
femme d'un de ces hommes a demandé aux soldats où son mari pouvait être, on lui répondit qu'il avait été amené pour interrogatoire
et que ce n'était pas nécessaire de lui apporter de la nourriture. D'habitude les familles des personnes détenues dans les prisons
locales leur apportent de la nourriture chaque jour.
A une réunion ultérieure à Rango le 11 juillet, des soldats ont demandé aux survivants des massacres d'identifier les présumés
tueurs. Ceux qui étaient identifiés étaient amenés dans des véhicules et n'ont pas été vu depuis.
Dans la même région, huit personnes furent amenées par des soldats le 24 août. C'était des hommes nommés Habiyakare, Noheli
Nduwayezu, Vénuste Ntakirutimana, Anniyasi, Cyriaque, Martin Rwandege, Lambert et Pascal.
Fin juillet et début août, dans la commune de Kayenzi, secteur Cubi, Cellule Ntwale, les veuves des hommes Tutsi tués pendant
le génocide demandèrent aux soldats du FPR d'arrêter quatre hommes quelles disaient coupables des massacres. Dans la tentative
d'arrestation, les soldats tuèrent un homme, nommé Hitimana qui essayait de s'enfuir. Un autre, Azarias Murekeyimana, échappa par
après, mais les autres, Védaste Munyakinami et Ntahonderera n'ont pas été vus depuis. Les soldats du FPR retournèrent deux jours
plus tard et frappèrent sévèrement le vieux père da Murekeyimana et Munyakinani alors qu'ils l'interrogeaient pour savoir où se
trouvait un de ses fils.
Vers ha même date, un autre homme appelé Ruhitamu fut aussi pris de Ntwale, commune de Kayenzi. Le 16 août, Didace, un employé ä
l'hôpital de Kigali et le fils d'Atanasi Ugiriwabo, fut arrêté à la barrière près du camp militaire de Kayenzi et n'a pas été vu
depuis.
A peu près 20 personnes ont disparu de la paroisse de Munyuzwe dans la commune de Masango. Elles comprennent Bisengimana de Kirwa
et le commerçant Sylvan Bakundakwita et son fils Laurent. Ce dernier pourrait avoir été accusé par des commerçants rivaux.
Après que les soldats du FPR ont établi leur camp à Kabgayi, le grand Evêché catholique au Rwanda central, six corps de personnes
qui avaient été liées furent trouvés dans les bois adjacents.
Damien, qui travaillait à l'Ecole d'Infirmières de Kabgayi, fut tué, dit-on, par des soldats du FPR à son domicile de Mpanda, dans
la commune de Mukingi.
Chantal, une femme mariée à un homme originaire du Burundi, ses enfants et ses visiteurs furent tués dans le secteur de Gahogo dans
la commune de Nyamabuye fin juillet ou début août.
D'autres disparitions ont été enregistrées près de la ville de Ruhengeri, dans les communes Taba, Kigoma et Runyinya et dans
plusieurs communes da la préfecture de Kibungo. Dans le plus récent des cas enregistrés, un homme fut amené par des soldats de
la route devant le Groupe Scolaire da Butare juste après la mi-journée du vendredi, 2 septembre. A l'absence d'une quelconque
notification officielle aux membres de famille dont les personnes amenées ont été en effet arrêtées, leurs familles supposent que
les personnes amenées sont mortes. Dans de tels cas, Human Rights Watch/Africa les considère comme disparues.
Dans certains cas de massacres ou de disparition, le FPR apparait avoir ciblé des lignages ou groupes familiaux, comme le lignage
des Abakomba dans la région de Butare.
Selon le Ministre de Justice Nkubito, certaines personnes citées comme disparues sont maintenant en prison ou sont détenues dans
les camps militaires. Etant donné qu'il n'y a pas encore de liste crédible des prisonniers et de personnes détenues, il est
impossible de savoir combien de ceux qui ont été pris par les soldats sont encore en vie et dans les mains des autorités. Il est de
la responsabilité des autorités publiques de dresser immédiatement une liste des détenus et de la rendre publique.
LE MASSACRE DES CIVILS PAR LE FPR
Des réfugiés qui ont fui l'avancée des troupes du FPR à travers le Rwanda ont souvent raconté que des soldats ont tué un grand
nombre de civils quand ils entraient dans leurs communautés. Certains de ces récits étaient évidemment des rumeurs ou une
intoxication répandue par l'ancien gouvernement rwandais. D'autres récits ont été ultérieurement substanciés. Des réfugiés ont
raconté, par exemple, que des civils furent rassemblés dans une mosquée dans la région du Bugesera et furent exécutés à la grenade.
Les soldats ont tenté de tenir les étrangers loin de ha mosquée, mais un visiteur a pu noter les dommages causés au bâtiment qui
apparaissent résulter de l'attaque à la grenade.
Dans un autre incident, un témoin digne de foi a rapporté que des soldats du FPR ont tué un grand nombre de civils quand ils sont
arrivés à Kayove, dans le nord-ouest du Rwanda (dans la préfecture de Gisenyi).
Human Rights Watch/Africa a fait une enquête sur un massacre qui a eu lieu dans la commune de Mukingi, secteur Rugogwa, cellule
de Nyagakombe le 19 juin. Le lieu est maintenant connu sous le nom de "kwi cumi n'icyenda", ou dix-neuf, en kinyarwanda. Un nombre de
témoins racontent que des soldats du PPR sont arrivés de la direction de la colline de Sarubeshi et ont rassemblé la population
locale et les réfugiés qui étaient dans les camps voisins. Ils ont expliqué qu'ils voulaient discuter au sujet du transport des
personnes à Rwabusoro au Bugesera. Les soldats ont d'abord tué une femme nommée Sara et un homme nommé Bihibindi. Une demi-heure
plus tard, ils ont ouvert le feu sur la foule de centaines de personnes rassemblées sur le terrain. Les tirs ont continué toute
la journée. Ceux qui ont survécu à la grêle de cartouches furent tués au marteau ou à la houe. Les soldats ont tué d'autres
personnes le 20 et 21 juin, quand ils ont attaqué celles qui avaient pris refuge dans le cabaret d'un homme nommé Laurent. Les
personnes étaient tuées sans distinction d'âge, sexe ou groupe ethnique. Parmi les Tutsi tués se trouvait une femme identifiée
comme la belle-fille d'un homme nommé Gahizi. Les victimes de l'attaque comprenaient la femme, trois enfants et la belle-fille de
Karenangingo et dix personnes de la famille de Rwabigwi.
Les corps des victimes furent hâtivement ensevelis par les survivants dans trois fosses communes qui ont été localisées et
photographiées par Human Rights Watch/Africa. Une fosse superficielle mesurait à peu près un mètre sur vingt et contenait
approximativement 70 victimes, dont la plupart des femmes et des enfants.
Deux autres, plus petites en surface, étaient dites plus profondes parce quelle avaient été des trous précédemment excavées pour
l'exploitation du sable ou argile. Il est vraisemblable que ces fosses aient pu contenir des centaines de victimes. De plus, le
corps d'un bébé a été vu flottant dans l'eau d'un ruisseau à côté dune fosse.
Un nombre de victimes avaient été abattues alors qu'elles essayaient de fuir. Leurs corps furent localisés en haut et en bas de
la route qui monte sur la colline à partir du terrain original du massacre. La représentante de Human Rights Watch/Africa a compté
et photographié des restes d'à peu près vingt personnes dans des endroits éparpillés. A peu près la moitié d'eux était ou bien des
femmes au bien des enfants.
Des témoins n'avaient aucune explication à l'attaque du PPR mais ils ont raconté que beaucoup de Tutsi avaient été tués dans la
région avant l'arrivée du FPR.
Le 15 août, les soldats du FPR sont revenus pour prendre un nombre de personnes comprenant Kayitare Théoneste, ses cinq enfants, sa
femme, trois de ses frères et trois de ses sœurs ; des fils de Bwanakweri; Nubaha; Come; Fabien; Schadrack et Barihima, tous
résidents du secteur Rugogwe.
LA REPONSE DU GOUVERNEMENT RWANDAIS
Les hautes autorités, dont le Général Paul Kagame, le Premier Ministre Faustin Twagiramungu et le Ministre de la Justice Nkubito
admettent que des soldats du FPR se sont rendus coupables de massacres des civils et insistent qu'ils font tout ce qui est possible
pour mettre fin aux représailles. Le 25 août, le Général Kagame et le Premier Ministre Twagiramungu ont prononcé des discours à
Ruhengeri empêchant à la population de demander aux soldats de tuer ou d'abuser autrement les personnes qu'ils croient coupables.
Les autorités affirment qu'une pression énorme de représailles va continuer tant qu'il n'y aura pas de procédures organisées pour
s'occuper des accusations contre les personnes accusées de participation aux massacres. Dans un discours aux représentants de la
Communauté Economique Européenne, le Président Pasteur Bizimungu, a appelé les autres nations à envoyer des juges, magistrats et
procureurs pour aider à faire avancer des procédures.
Etant donné la stricte discipline qui semble exister au sein de l'Armée du Front Patriotique, Human Rights Watch/Africa trouve
qu'un ordre strict d'arrêter les représailles serait immédiatement respecté. En effet, il a été capable de documenter seulement
deux cas de tentative de contrôler les abus. Dans le cas décrit ci-dessus qui a eu lieu dans la cellule de Ntwale, secteur Cubi,
commune Kayenzi, un soldat a apparemment dit aux autres qu'être membre du parti MRND, le parti de l'ancien Président Habyarirnana
qui était impliqué dans le génocide, n'était pas une raison suffisante d'arrêter quelqu'un. Il voulait fouiller la maison de la
personne accusée pour voir s'il y avait une preuve pour substancier les charges contre lui. Les autres soldats ont apparemment eu
le dessus sur lui et le suspect fut arrêté. Dans un second cas qui a eu lieu en mi-août, un homme appelé Athanasi de la commune
Masango fut arrêté près de l'aéroport de Butare, lié et battu par des soldats. Le Major Karenzi est intervenu et l'a fait libérer.
Le Major Karenzi a apparemment refusé la demande d'Athanasi, que s'il venait à avoir un problème dans l'avenir, il devrait dire aux
soldats que le Major Karenzi était au courant da son cas.
Selon les autorités, soixante-quatre soldats ont été arrêtés, certains d'entre eux accusés de massacres des civils. Ce nombre,
originairement enregistré à peu près un mois auparavant, n'a pas augmenté depuis, même si des tueries sont rapportés chaque jour.
On a dit à Human Rights Watch/Africa que ceux gui sont accusés des plus graves délits sont détenus à la prison de Kibungo. On a
permis à la représentante de Human Rights Watch/Africa de visiter la prison pour interviewer les soldats détenus. Aucun d'eux était
un officier. Un d'eux a raconté qu'il avait été arrêté après avoir tué un membre de la milice Interahamwe qui venait de lui lancer
une grenade. Un autre a raconté une histoire semblable.
Dans une interview le lendemain, le Général Kagame a dit à Human Rights Watch/Africa que le Major Sam Bigabiro avait été arrêté pour
avoir tué des civils. Il a indiqué qu'il croyait que le Major Bigabiro pouvait être le commandant dans la commune de Mukingi où un
grand nombre de civils avait été tué. Son personnel a dit que le Major Bigabiro était détenu à la prison de Kibungo mais il ne
pouvait pas expliquer pourquoi il n'était pas présent le jour précédent quand les autres soldats étaient disponibilisés pour être
interviewés par Human Rights Watch/Africa.
Les autorités militaires ont aussi dit que deux soldats ont été jugés en cours martiales et exécutés. Les détails de leurs crimes
et les procédures impliquées n'ont pas été rendus publics.
LES DROITS DE PROPRIETE
Des soldats ont occupé des propriétés résidentielles et commerciales dans les villes de Kigali, Butare, et autres locations
urbaines. Dans certains cas ils ont occupé les propriétés eux-mêmes, dans d'autres cas ils ont alloué les propriétés aux personnes
venant du Burundi, du Zaïre, ou d'Uganda. Les autorités ont annoncé que les propriétaires originels seront automatiquement
réinstaurés dans leurs propriétés quand ils reviendront mais qu'ils devaient donner aux occupants temporaires quelques jours
pour trouver de nouveaux logements. Dans certains cas, les propriétaires ont pu regagner leurs habitations; mais pour trouver
tous ses équipements emportés. Dans d'autres cas, ceux qui essayaient de regagner leur propriété furent repoussés par des foules
les accusant d'avoir participé au génocide ou ont même subi la violence dans les mains des occupants temporaires.
INSECURITE ET PEUR
Les autorités rwandaises rapportent que des soldats de l'armée de l'ancien gouvernement rwandais et des membres des milices qui
ont supporté le gouvernement ont fait des incursions par la frontière sud pour tuer des gens. Un tel groupe se serait infiltré dans
Ruhengeri et tué plusieurs personnes, blessé deux enfants et pris avec eux plusieurs autres le 24 et 25 août. Dans certains cas,
tel celui dans ha région ouest de Kibuye en mi-août, des infiltrés dont le but était de déstabiliser le nouveau gouvernement se sont
fait passer pour des membres de l'armée du FPR. Début août, des hommes armés en tenue militaire ont attaqué des réfugiés qui
revenaient du Zaïre sur la colline de Ndiza, au nord de Ruhengeri. Les victimes ont accusé le FPR pour l'incident; mais un zaïrois,
activiste des droits d'homme, a interrogé des gens dans la région et a conclu que les malfaiteurs étaient en fait des membres des
milices qui s'étaient déguisés comme membres du FPR.
Une rumeur fortuite et une propagande délibérée brouillent et exagèrent les récits d'attaques et de disparitions, ce qui élève le
niveau de peur au sein de la population. Beaucoup de personnes ont dit à Human Rights Watch/Africa qu'ils avaient peur d'être
attaquées.
A un niveau, les hautes autorités ont fait preuve d'ouverture envers les étrangers et ont même exprimé leur reconnaissance quand ils
étaient informés des exactions rapportées. Mais, sur les collines, où l'occupation par les soldats continue d'être dense, beaucoup
de personnes ont peur de parler des abus. Un Rwandais qui a longuement parlé sur une rue publique avec un étranger fut approché
immédiatement par un officier du FPR qui l'avertit contre des conversations prolongées avec les étrangers.
LA NECESSITE D'OBSERVATEURS
La Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies a recommandé qu'un nombre d'observateurs soient envoyés pour suivre la
situation des droits de l'homme au Rwanda. Les autorités rwandaises étaient d'accord pour leur présence dans le pays. La
représentante du Rapporteur Spécial, qui devait coordonner l'établissement d'un réseau de contrôle, a fait face à beaucoup
de difficultés pour mettre sur pied ce système, tout comme elle a eu du mal à obtenir les ressources nécessaires pour faire des
investigations sur le génocide. Pendant deux mois, elle était la seule personne présente sur les lieux. On lui avait promis vingt
observateurs vers la fin d'août mais elle n'a reçu que quatre. On lui avait une fois promis 150, assez pour placer un dans chaque
commune, elle peut avoir à compter sur moins d'une douzaine. Comme avec les autres aspects de l'effort international au Rwanda, la
difficulté majeure semble venir des conflits bureaucratiques triviaux.
Etant donné la réponse lente et inadéquate des Nations Unies pour la nécessité pressante de contrôler la situation, un nombre
d'organisations des droits de l'homme non-gouvernementales sont entrain d'explorer la possibilité de créer un réseau d'observation
en collaboration avec les associations locales.
LES ASSOCIATIONS RWANDAISES DES DROITS DE L'HOMME
Les différents groupes rwandais des droits de l'homme ont subi de graves pertes résultant du massacre des Tutsi et des membres de
l'opposition politique. Ils ont courageusement commencé à se regrouper et ont organisé un groupe d'équipes qui ont commencé à
rassembler la documentation sur le génocide.
RECOMMANDATIONS
Le Gouvernement rwandais
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Doit agir immédiatement et vigoureusement pour mettre fin aux massacres de représailles et aux autres abus commis par les
militaires.
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Doit créer une force de police civile pour remplacer l'armée et doit retirer les soldats pour les amener dans les casernes.
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Doit arrêter et persécuter tous les soldats accusés de massacres et autres exactions contre la population civile; spécifiquement,
il devrait tenir immédiatement une cour martiale publique pour le Major Sam Bigabiro et autre officier accusés d'avoir commandé des
attaques.
-
Doit ordonner aux soldats qui arrêtent des suspects d'informer sans délai leur famille de l'arrestation et du lieu de détention.
-
Doit tenir à jour et publier une liste de toutes les personnes arrêtées ou autrement détenues par des autorités légitimes.
-
Doit immédiatement ouvrir des prisons pour détenir les civils et faire déplacer les détenus civils hors des camps militaires.
-
Doit formuler des propositions précises et pratiques pour l'utilisation de juristes et enquêteurs étrangers afin d'accélérer la
poursuite des personnes accusées.
-
Devrait encourager l'application de peines adaptées au degré de culpabilité des accusés, en tenant compte de circonstances
atténuantes et de la volonté des accusés de coopérer avec les enquêteurs et de procurer des preuves d'infractions commises par
d'autres personnes, pourvu que leur participation aux infractions est reconnue immédiatement et honnêtement [ce qui est secondaire
au crime]. On pourrait offrir à ces accusés la possibilité d'un service communautaire obligatoire au lieu d'une peine de prison.
Ces conditions spéciales doivent être données et annoncées avant l'application de circonstances atténuantes. Des peines plus
légères devraient être imposées à des accusés ayant agi sous la menace da la mort. La possibilité d'invoquer des circonstances
atténuantes devrait être exclue pour ceux qui ont donné des ordres ou qui exerçaient un contrôle des événements qui leur aurait
permis d'éviter la perte da vies humaines et qui ont omis de le faire.
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Devrait continuer et réellement mettre en application sa politique d'ouverture, et ce compris, sa volonté de permettre
l'installation d'observateurs des droits de l'homme.
A la communauté internationale:
-
Les gouvernements ayant sur leur territoire des personnes soupçonnées de génocide doivent soit les extrader au Rwanda pour
procès, soit les juger rapidement eux-mêmes, soit encore les remettre à l'autorité appropriée pour jugement devant un tribunal
international, dès qu'il sera créé.
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Les gouvernements de pays dont le système juridique est similaire à celui du Rwanda devraient offrir les services de juristes et
d'enquêteurs, soit en les détachant soit en assistant à leur recrutement par d'autres canals. Tous les gouvernements devraient
assister dans les enquêtes nécessaires pour juger las coupables du crime de génocide, soit par un appui financier, soit par un
apport en personnel.
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Tous les gouvernements devraient insister sur la mise en place immédiate d'un tribunal international, de préférence par
l'extension du tribunal existant pour crimes de guerre en ex-Yougoslavie, par l'adjonction d'une seconde chambre et un second
ministère public.
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Par le biais du Conseil de Sécurité, la communauté internationale devrait demander à tous les Etats de coopérer avec les
autorités rwandaises et avec le tribunal international, afin de déférer devant la justice les coupables du génocide, plus
spécifiquement an arrêtant les suspects là où ils se trouvent, pourvu que les soupçons soient réels et pour autant que les
suspects aient la possibilité en droit national de mettre en cause leur détention.